par Germaine EWODO AYENE
Le train de mon enfance quittait la ville à la tombée de la nuit. Papa nous exigeait de partir deux heures plus tôt. Qui pouvait dire « Non » au chef de famille rigoureux qu’il était?
Voyager en train, aller si loin, était un moment extraordinaire pour nous. Tous les enfants du quartier populaire dans lequel j’ai grandi ne pouvaient pas s’offrir ce luxe de toujours partir en vacances loin, très loin de notre quartier. Plusieurs d’entre eux, se rendaient chez un oncle ou une tante qui habitait dans la ville de Douala où nous résidions ou dans des villes environnantes.
Pendant les grandes vacances, mes deux frères (André et Nicolas) et moi, accompagnés de Maman, prenions place dans ce train de nuit qui nous menait à la capitale du Cameroun, Yaoundé.
Ma mère était une femme prévenante et prévoyante. Non seulement elle était à notre écoute pour trouver ce dont nous avions besoin, mais avant chaque occasion, elle préparait des choses longtemps à l’avance. Quelques jours avant notre départ pour le village, elle nous présentait de nouveaux vêtements cousus par ses soins et d’autres vêtements achetés dans des marchés de la ville. Elle nous voulait impeccables, à toutes les occasions où une belle tenue était tacitement exigée. Le dimanche, jour de grande messe, était notre jour de grande parade. Sur la place du marché, lieu de rencontre favori pour les familles de la région, affichant une fière allure, nous marchions aux côtés de maman. C’est à elle que revenaient les compliments qui nous étaient adressés; « Crescence, ta fille est si jolie dans sa belle robe fleurie! »…
Dans nos bagages, Maman emportait des provisions pour sa fratrie. Généralement, elle leur apportait deux mets délicieux soigneusement cuisinés dans des feuilles de bananiers; le Nam gouan et le Nam owondo. Ces produits étaient contenus dans un sac spécial qu’il ne fallait perdre pour rien au monde. « On arrive pas chez des gens les mains vides », disait ma mère.
Maman voulait penser à tout le monde et à tout. Elle veillait au moindre détails; boîte à pharmacie, sandales, vêtements, chaussures; etc. Nous partions toujours en voyage avec plus de bagages que le nombre de passagers. Pour nous rendre à la gare, deux de mes frères (Zélie et Louis Martin) venaient nous prêter mains fortes.
Ce sont eux qui se chargeaient de jouer les gros bras lorsque le train entrait en gare. Pendant que notre trio veillait sur les bagages en compagnie de nos parents, nos éclaireurs bousculaient toutes les personnes sur leur passage pour nous réserver quatre places. Aussitôt qu’ils les trouvaient, ils hurlaient nos noms pour qu’on puisse les entendre au milieu de la cacophonie ambiante.
Sur nos sièges en vis-à-vis, je prenais place en face de maman et mes deux frères se faisaient face. Certains de nos bagages que nous n’avions pas pu placer sur des porte-bagages étaient rangés sous nos sièges. Puisque nous en avions trop, certains de nos colis nous mettaient dans l’inconfort. Il ne m’était jamais venu à l’esprit que ce train qui nous transportait pouvait avoir des voitures aux espaces plus confortables. Dès lors que nous étions en famille, tout le reste nous importait peu.
Avant le départ du train, nous observions le quai de la petite gare qui venait de se vider de sa foule de voyageurs. De nombreux accompagnateurs restaient sur le quai jusqu’au départ complet du train. Papa, Zélie et Louis Martin, faisaient partie de ceux-là. Aussitôt que le chef de gare donnait le signal, des bras oscillaient sur le quai pour dire au revoir à ceux qui partaient en voyage.
Le train de nuit que nous prenions était toujours bondé de monde. Les allées étaient vite occupées par des bagages et des personnes n’ayant pas eu de places assises. Cela ne facilitait pas le passage des contrôleurs de train. Certaines familles n’avaient pas la chance de voyager côte à côte. Pourtant, bon nombre d’entre elles dialoguaient malgré la distance qui les séparait. On entendait des conversations étranges. Quelquefois, d’autres passagers saisissaient des mots au vol et les redirigeaient à qui de droit. « Ta maman demande si tu veux boire de l’eau. » Non. Je n’ai pas encore soif. » « Maman, votre fille dit qu’elle n’a pas encore soif ». Est-ce que je peux lui envoyer un morceau de pain? »… »Maman, elle dit qu’elle achètera des Mitoumba à Edéa! » Dans mon Pays, le Cameroun, une Maman est celle de tous les enfants, biologiques ou pas.
Le train de nuit s’arrêtait à toutes les gares pour prendre de nouveaux passagers et par la même occasion, ceux arrivés à destination parvenaient à descendre. Ces arrêts permettaient aux voyageurs de se dégourdir des jambes parfois devenus insensibles sous l’emprise des crampes prolongées.
Dans le train de nuit, des relations se tissaient au fil du voyage. Des personnes bavardes trouvaient toujours des oreilles attentives pour écouter leurs histoires. Ceux qui ne voulaient pas participer aux conversations simulaient un sommeil qui finissait parfois à les emporter réellement chez Morphée.
Il n y avait pas que de belles histoires dans ce train de nuit. Parfois de simples bousculades entraînaient des disputes pouvant conduire à des accrochages. Ces bagarres ne faisaient jamais long feu. Plusieurs mains oisives intervenaient vite pour y mettre fin. D’ailleurs, l’espace beaucoup trop restreint ne permettait pas un tel défoulement. L’ adversaire le plus colérique continuait de vociférer seul, pour ne pas se laisser étouffer par la rage qui l’animait. Il parlait encore et encore, crachant un venin de colère qui allait se cogner contre le mur en béton de l’indifférence des personnes en quête de tranquillité. La flamme de la colère, se rendant peu à peu compte que personne ne voulait l’attiser, s’éteignait lentement.
Le train roulait tantôt vite, tantôt lentement. On entendait le bruit des essieux, des roues sur les rails et des raccordements de wagons. Le bruit du moteur de la locomotive retentissait de temps à autre. Le vent sifflait et faisait entrer dans nos wagons de voyageurs le parfum des paysages que nous traversions. Quelques personnes profondément endormies ronflaient. Dans leur sommeil, certaines personnes basculaient inconsciemment sur l’épaule de leurs voisins.
Pendant le voyage, notre trio si bruyant dans de grands espaces, subissait l’étroitesse des lieux. Nous étions calmes et heureux avec Maman à nos côtés. Comme d’habitude, tout était prévu pour nous tenir en forme pendant le voyage. Nous avions des repas et de l’eau à boire. Nous égrenions tout au long du voyage des chapelets d’histoires drôles pour ne pas nous endormir. Pourtant, la fatigue avait très souvent raison de nous.
Lorsque le train s’arrêtait dans une gare, nous étions aussitôt réveillés par les cris des vendeurs à la sauvette. Leur vente à la criée était un vrai matraquage pour attirer des clients et rappeler à tous ceux qui n’avaient pas de provisions pour leurs hôtes qu’il était encore temps. « N’oubliez pas les bâtons de manioc! Mitoumba! Mitoumba! Mandarines! Mandarines! Les Prunes! Les Prunes! etc. » Le temps d’escale du train était aussi une belle occasion pour s’assurer que nos bagages étaient au complet.
Au petit matin, l’air frais de la capitale Yaoundé nous fouettait le visage et nous réveillait totalement. Il y avait toujours quelqu’un pour nous accueillir sur le quai de la gare. Parfois, c’était le frère de Maman qui abandonnait ses grandes responsabilités et venait en personne. Il venait serrer sa sœur dans ses bras longuement pour lui souhaiter de vive voix la Bienvenue. Après quelques échanges de mots avec Maman, mon oncle nous jetait ce regard si affectueux qui nous couvait d’Amour et nous attirait tel un aimant. André, Nicolas et moi l’étreignions ensemble, dans un élan de joie. Il était adorable, Tonton Athanase, le frère de Maman!
Avant de quitter la gare, je jetais toujours un dernier regard au train si long dont le bruit si cadencé berçait nos voyages. Après deux jours chez notre oncle, nous quittions la capitale Yaoundé pour le village d’Essong; chez Grand-mère Yossa. Là-bas, les enfants de Tonton Athanase, nos cousins et cousines déjà arrivés sur place nous attendaient. Avec eux, nous passions des moments merveilleux et mémorables.
Venez visiter mon beau Pays, le Cameroun, riche de sa culture et riche de sa diversité. Nous sommes passés au rang de Continent depuis quelques mois parce notre esprit est si conquérant et nos cœurs remplis d’une générosité qui n’a de limite que le bout du monde.

Chemin de Fer Transcamerounais sur la carte ci-dessus
Les proverbes et dictons du Cameroun (1962)
Proverbe Camerounais « Même dans son sommeil le lion dort avec toutes ses dents. »
À découvrir sur le site https://www.mon-poeme.fr/proverbes-camerounais/
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